CONTROVERSE : Peut-on arrêter un traitement de fond dans la sclérose en plaques ?
Les options thérapeutiques dans la SEP ont progressé de l’absence de traitement dans le passé récent à un choix parfois difficile actuellement et d’un traitement peu efficace à des traitements plus actifs avec parfois des effets indésirables graves. L’utilisation des traitements de fond dans la SEP rémittente est bien établie. Toutefois, l’arrêt du traitement est encore un sujet à controverse. Nous sommes régulièrement confrontés dans la pratique quotidienne à des situations où on se pose la question de la nécessité de l’arrêt du traitement de fond.
A titre didactique nous présentons l’observation de Madame M.B âgée de 20 ans (2001), suivie pour une SEP rémittente sous interféron béta (IFNβ) 1a en sous cutanée depuis 3 mois, nous a consulté pour une élévation des transaminases à 3 fois la normale et elle se pose la question si elle doit arrêter son traitement ?
Les anomalies biologiques fréquemment retrouvées chez les patients traités par les IFNβ sont la leucopénie, la neutropénie, la lymphopénie, et l’élévation des transaminases.1 La prise en charge des anomalies hépatiques dépend de la gravité du dysfonctionnement hépatique: la plupart des patients présentant une élévation des transaminases de grade 1 selon les classifications de l’OMS (transaminases ≤2,5 × N) évolueront vers des valeurs de transaminases qui se normalisent tout en continuant le traitement par les IFNβ; Ainsi, la réévaluation des tests de la fonction hépatique est recommandée un mois plus tard. En cas d’élévation persistante des transaminases ou une évolution vers un grade 2 (transaminases entre 2,5-5×N), la dose d’IFN devrait être diminuée, et la dose standard peut être reprise lorsque les tests de la fonction hépatique reviennent à des niveaux de base. Le traitement par IFN doit être interrompu au grade 3 ou plus (transaminases>5×N). 2
Après réduction de la dose de l’IFNβ, le bilan hépatique de Mme M.B s’est normalisé et la patiente a été gardée sous IFNβ. Après 12 ans d’évolution (2013), la patiente n’a pas présenté de poussée, son dernier EDSS était égale à 1. La patiente a eu deux IRM cérébro-médullaire de contrôle qui ne montrent pas d’augmentation de la charge lésionnelle ni de lésions actives. Madame M.B se pose la question sur la nécessité de continuer le traitement de fond.
Il existe plusieurs définitions différentes de la SEP bénigne (SEPB), la plus admise étant un EDSS≤3 au bout de 10 ans d’évolution.3 Le pourcentage de la forme bénigne de SEP variait de 7,2 à 32% dans la littérature.4, 5 Cependant, des études récentes révèlent que la détérioration de la fonction cognitive, la fatigue, la douleur et la dépression se produisent également chez les patients ayant une SEPB. Ceci provoque un impact négatif sur le travail et la qualité de vie des patients, malgré la conservation complète de la fonction motrice. A l’IRM, la charge lésionnelle observée chez les patients présentant une SEPB est similaire aux sous-types de la maladie. L’étude de l’histoire naturelle de la cohorte de l’Ontario de SEP a montré qu’un nombre important de poussées au cours des 2 premières années de la maladie et un intervalle court entre les deux premières poussées prédisaient une progression plus rapide du handicap. La fréquence des poussées au-delà de la deuxième année ne semble pas prédire le délai pour atteindre un EDSS 6, 8 ou 10.6 Le diagnostic de SEPB est rétrospectif et sa définition nécessite d’être revu.
Madame M.B trouve que sa maladie n’est pas évolutive et elle réclame la possibilité d’arrêter le traitement.
Peu d’études ont évalué l’arrêt d’un traitement de fond chez les patients SEP. Olival et al.7 ont étudié l’évolution clinique et radiologique d’un groupe stable de patients ayant une forme rémittente de SEP et à qui le traitement de fond a été arrêté.
Quarante patients ont eu l’arrêt de leur traitement de fond et ont été observés de 13 à 86 mois. Parmi les patients suivis, 4 (10%) patients ont présenté des nouvelles poussées. Outre ces patients, 2 (5%) des patients ont eu de nouvelles lésions à l’imagerie sans manifestations cliniques.
Malgré ces résultats, les auteurs concluaient que la décision difficile de retirer un médicament nécessite une analyse minutieuse et les patients doivent être évalués périodiquement. En plus, l’administration au long court des traitements de fond a montré un effet positif sur la qualité de vie des patients8, 9 tout en sachant que leurs effets sur le handicap sont maintenues et rentable sur le cout et le long terme.10
Mme M.B a réalisé une IRM cérébrale de contrôle montrant l’apparition de deux nouvelles lésions en hypersignal T2 et FLAIR dont une active.
Le concept « NEDA » ou « no evidence of disease activity » (aucun signe d’activité de la maladie) intègre quatre paramètres : l’absence de poussées, l’absence de progression du handicap, l’absence de nouvelles lésions T2et/ou de prise de gadolinium et l’absence d’atrophie cérébrale.11 Cette mesure n’inclut pas tous les éléments qui sont importants dans l’évaluation de l’efficacité thérapeutique. En effet, NEDA ne tient par exemple pas compte, ou seulement indirectement, d’éventuels troubles cognitifs, de la douleur, de la fatigue ou de la qualité de vie.
L’identification précoce des patients avec une mauvaise réponse au traitement est essentielle pour la sélection des candidats potentiels à changer le traitement de fond. Ceci est particulièrement important chez les patients atteints de SEP rémittente, étant donné l’avènement récent des thérapies plus efficace de seconde ligne; par conséquent, la nécessité de prendre des décisions rapide de modification du traitement chez les patients ayant des réponses sous-optimales, afin d’éviter que la SEP progresse à un point ou toute modification du traitement ne serait plus efficace. quelques marqueurs fiables de la réponse au traitement par les IFNβ ont été identifiés. Le score proposé par Rio et ses collègues a l’avantage de combiner des mesures couramment utilisé à court terme (à savoir 1 an) de l’activité de la maladie telles que les poussées, la progression du score EDSS et les lésions à l’IRM. Le score modifié de Rio permet notamment de mieux distinguer les bons des mauvais répondeurs.12, 13
Mme M.B a continué le traitement pat IFNβ et nous consulte suite à un retard des menstruations. Le dosage des Béta HCG était positif. Son gynécologue confirme qu’elle est enceinte à 8 semaines d’aménorrhée. L’IFNβ a été arrêté.
Le groupe de réflexion sur la sclérose en plaques (GRESEP) a élaboré des recommandations concernant la grossesse et SEP. 14 Il existe un accord professionnel fort concernant la possibilité de poursuivre un traitement immunomodulateur (IFNβ et acétate de glatiramère) jusqu’à la preuve de conception, sans effet actuellement démontré sur l’embryon ou le fœtus. Il est recommandé d’arrêter le traitement par natalizumab 3 mois avant l’arrêt de la contraception. Le Fingolimod doit être arrêté 2 mois avant l’arrêt de la contraception. L’influence de la grossesse sur la SEP a été longtemps sujette à controverse, jusqu’à la publication des résultats de l’étude PRIMS (PRegnancy In Multiple Sclerosis) 15 : La fréquence des poussées diminue classiquement au cours de la grossesse dès le 1er trimestre mais de façon très spectaculaire lors du troisième où elle est diminuée de près de 70 % par rapport à l’année avant la grossesse. A l’inverse, la fréquence des poussées augmente de près de 70 % lors du 1er trimestre du post-partum par rapport à l’année pré-grossesse; Puis, à l’issue du premier trimestre après l’accouchement, la fréquence des poussées revient à son niveau de l’année avant la grossesse. Une analyse complémentaire de l’étude PRIMS15 a montré que les principaux facteurs prédictifs associés à la survenue d’une poussée dans le post-partum étaient l’existence d’une poussée dans l’année précédente ou au cours de la grossesse.
Trois mois après l’accouchement, Mme M.B a présenté une poussée sensitivo-motrice. Elle a eu un bolus de 1g de Solumedrol pendant 5 jours. Le traitement par IFNβ a été repris. Mme M.B a fait deux autres poussées sous IFNβ avec une augmentation de la charge lésionnelle. Son EDSS est passé à 3. Le score de Rio modifié était à 3. Un traitement de fond de deuxième ligne par natalizumab a été démarré, La sérologie JCV était négative. Après 18 perfusions, une séroconversion de la sérologie JCV a été objectivé avec un index JC égale à 1,8. Mme M.B est informée du risque de leuco-encéphalopathie multifocale progressive (LEMP) et elle voulait arrêter le traitement par natalizumab. Elle est intéressée par un traitement par voie orale à savoir le Fingolimod. Elle demande les risques d’un éventuel changement de traitement.
Récemment, l’efficacité et la sécurité du changement du natalizumab vers Fingolimod ont été étudiées.16, 17 En raison de l’augmentation du risque potentiellement mortelle de LEMP, le traitement par natalizumab doit être arrêté chez certains patients à haut risque. Le risque de LEMP dépend de la durée du traitement, de la positivité de la sérologie JC et de la prise antérieure d’immunosuppresseurs. L’index JC pourrait mieux différencier le risque de LEMP chez les patients JC positif n’ayant jamais reçu d’immunosuppresseurs. En effet, les patients ayant un index JC entre 0,9 et 1,5 avaient un risque de LEMP d’environ 0,1 à 0,2 pour 1000 patients au cours des 2 premières années de traitement par natalizumab. Pour les patients ayant un index> 1,5, le risque de LEMP est d’environ 1,2 pour 1000 patients au cours des 2 premières années de traitement. L’arrêt du natalizumab peut être associé à un «rebond», qui est parfois sévère. Cela pourrait être atténué en adaptant soigneusement la transition entre les traitements. Jokubaitis et al.16 Ont objectivé que le meilleur facteur prédictif d’avoir une poussée lors du changement vers du fingolimod était le nombre de poussées dans les six mois précèdent l’initiation du fingolimod, quel que soit le type de traitement antérieur. En plus, ils ont constaté que les patients qui ont eu une période de « washout » de 2-4 mois ont été deux fois plus susceptibles d’avoir une poussée. Une période de « washout » de 2 mois ou moins est recommandée.
Mme M.B a été mise sous Fingolimod après une période de washout de 1 mois. Après 6 mois de l’initiation du traitement, la patiente a commencé à faire des poussées avec des lésions actives à l’IRM et une progression du handicap. Le dernier EDSS était égale à 4,5. La patiente entre dans une forme secondairement progressive.
Après environ 20 ans, 50 % des patients ayant une forme rémittente évoluent vers une forme progressive. Les IFNβ gardent une place dans le traitement des SEP secondairement progressive encore inflammatoire. Récemment, deux essais cliniques concernant la forme progressive de la SEP ont été positifs. Ces résultats encourageants concernaient la biotine et l’ocrelizumab.18 Il existe actuellement plusieurs essaies potentiellement prometteurs dans le pipeline de médicaments pour la SEP.19
Conclusion :
Devant l’absence de marqueurs prédictifs d’une éventuelle réactivation de la maladie, l’arrêt d’un traitement de fond chez des patients SEP stabilisés est une question délicate. Une discussion avec le patient et une prise en charge du « cas par cas » sont recommandés. Une meilleure définition des non répondeurs et des paramètres tangibles de « guérison », ainsi que des études analysant des patients en arrêt de traitement sont nécessaires.
Références :
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